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L’accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur, son contenu et ses conséquences : les réponses à vos questions

Tandis que la perspective d’un accord final se rapproche entre l’Union européenne (UE) et le Mercosur, la contestation est montée d’un cran ces dernières semaines en France.
L’exécutif, le gouvernement et les agriculteurs dénoncent d’une même voix le texte actuel, craignant l’arrivée massive de denrées alimentaires sud-américaines sur le marché français. S’il voit le jour, cet accord, qui vise à supprimer la quasi-totalité des droits de douane appliqués aux échanges commerciaux entre l’UE et le Mercosur (le marché commun qui réunit le Brésil, l’Argentine, le Paraguay, l’Uruguay et la Bolivie), serait le traité de libre-échange le plus important jamais conclu par l’UE. Il concernerait 780 millions de personnes et entre 40 et 45 milliards d’euros d’importations et d’exportations.
Pour mieux comprendre le débat autour de ce traité, voici les réponses aux questions le plus souvent posées par les lecteurs du Monde.
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Pourquoi reparle-t-on de cet accord aujourd’hui ?
Le projet d’accord entre l’Union européenne et le Mercosur est un vieux dossier, puisque l’Europe et le Mercosur ont commencé à en discuter en… 1999.
Il a d’abord fallu vingt ans pour négocier un premier compromis, qui a été présenté en 2019. Mais en raison de l’opposition de plusieurs Etats, dont la France, le traité n’a pas été validé à l’époque, et le processus s’est arrêté. Les négociations ont repris en 2022, à la faveur d’un contexte géopolitique plus favorable, avec le retour de Luiz Inacio Lula da Silva à la présidence du Brésil.
Aujourd’hui, la Commission européenne s’estime proche d’un compromis acceptable. Sa présidente, Ursula von der Leyen, aimerait profiter d’une des prochaines échéances diplomatiques importantes (comme le sommet du Mercosur, prévu en Uruguay les 5 et 6 décembre) pour annoncer la conclusion d’un accord définitif. Mais rien n’est moins sûr, en raison de l’opposition ferme de la France et des doutes exprimés à demi-mots par plusieurs autres Etats, tant côté européen que sud-américain.
Pourquoi cet accord est-il critiqué ?
Ce projet a la particularité de rassembler contre lui des opposants très variés : les agriculteurs, les écologistes, les ONG spécialisées dans la santé alimentaire, les altermondialistes critiques du libre-échange et les souverainistes y sont tous largement opposés, pour des raisons diverses.
Bien que défendant des modèles différents, les principaux syndicats d’agriculteurs (FNSEA, Coordination rurale, Confédération paysanne) et interprofessions (Interbev, Anvol, Intercéréales, AIBS) se mobilisent contre l’arrivée massive de denrées alimentaires sud-américaines sur le marché français, qu’ils voient comme une concurrence déloyale pour leurs filières.
Les militants écologistes s’inquiètent, pour leur part, des conséquences environnementales de l’accord. Il devrait, en effet, accroître les émissions de gaz à effet de serre en raison d’une augmentation de la production destinée à l’export, et accélérer la déforestation en Amérique latine.
La différence de normes sanitaires entre l’Union européenne et les pays du Mercosur laisse également craindre l’arrivée sur le marché européen de produits non conformes, présentant des risques pour la santé des consommateurs. 
Quelles seraient les conséquences du traité sur les importations bovines ?
Le projet d’accord entre l’Union européenne (UE) et le Mercosur prévoit la possibilité pour les éleveurs sud-américains d’exporter chaque année en Europe 160 000 tonnes de bœuf avec des droits de douane réduits ou nuls.
Si cela peut sembler dérisoire par rapport aux 6,4 millions de tonnes de viande bovine produites chaque année dans l’UE, ce quota n’en demeure pas moins substantiel quand on le compare à l’ensemble des importations de viande de bœuf en Europe : 351 000 tonnes en 2023, dont près de 196 000 tonnes proviennent déjà des pays du Mercosur. Avec l’ouverture d’un nouveau contingent, les éleveurs français craignent la concurrence déloyale d’une viande brésilienne beaucoup moins chère, car produite avec des normes environnementales et sanitaires moins strictes.
Surtout, les détracteurs replacent cet accord dans le contexte plus large d’une UE qui a conclu ces dernières années de nombreux traités commerciaux (Canada, Japon, Vietnam, etc.), dont les conséquences se cumulent.
Quels pourraient être les effets environnementaux de cet accord ?
Les détracteurs de l’accord craignent qu’en favorisant les échanges commerciaux cela nuise à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et à la lutte climatique.
L’augmentation des quotas d’exportation de bovins vers l’Europe pourrait notamment pousser les pays du Mercosur (Brésil en tête) à augmenter leurs capacités de production, ce qui nécessiterait de créer des pâturages en déboisant la forêt amazonienne.
Dans un rapport rendu au gouvernement français en 2020, une commission d’experts dirigée par l’économiste de l’environnement Stefan Ambec avait estimé que ce traité commercial pourrait augmenter de 5 % le rythme de la déforestation pendant les six années suivant son entrée en vigueur, soit un total de 700 000 hectares. Autrement dit, le coût environnemental mesuré à partir des émissions supplémentaires de CO2, à un coût unitaire de 250 dollars la tonne, serait plus élevé que les bénéfices économiques.
Quels secteurs pourraient profiter de ce traité ?
La libéralisation du marché bénéficierait à certains secteurs européens, comme celui des vins et spiritueux, ainsi que les produits laitiers et le chocolat, dont les droits de douane à l’exportation baisseraient. Dans le cas du vin, l’accord prévoit ainsi la suppression totale, à terme, du tarif douanier actuellement fixé à 27 %.
Les constructeurs automobiles européens espèrent aussi bénéficier de l’accord en augmentant leurs exportations de véhicules dans les pays du Mercosur à la faveur de l’élimination du droit de douane de 35 %.
L’accord entre l’Union européenne et le Mercosur profiterait aussi aux près de 400 indications géographiques protégées européennes que le Mercosur a accepté de reconnaître, comme le jambon de Bayonne, le comté et les pruneaux d’Agen. Cela offrirait à leurs producteurs un avantage à l’export, puisqu’ils ne pourraient plus être copiés par des concurrents locaux.
L’accord améliorerait, par ailleurs, l’accès de certaines grandes entreprises européennes aux marchés publics des pays du Mercosur, par exemple dans les secteurs de l’eau et de l’énergie.
Enfin, la Commission européenne fait valoir que ce rapprochement commercial avec le Mercosur permettrait de sécuriser à long terme son approvisionnement en matières premières nécessaires à la transition écologique, comme le lithium, le cuivre, le fer ou le coblat, dont cette zone du monde est riche.
Les produits importés devront-ils respecter les normes européennes ?
Les normes sanitaires et environnementales imposées aux agriculteurs ne sont pas les mêmes dans l’Union européenne et dans les pays du Mercosur, par exemple pour l’usage des antibiotiques, des hormones de croissance, des farines animales, des OGM ou encore du bien-être animal.
Officiellement, l’accord entre l’Union européenne (UE) et le Mercosur prévoit que les agriculteurs sud-américains seront globalement soumis aux normes européennes s’ils souhaitent exporter leurs produits vers l’Europe. Mais ce principe a deux grandes limites :
L’accord peut-il être adopté prochainement ?
Le processus de ratification du projet d’accord entre l’Union européenne (UE) et le Mercosur se déroule théoriquement en trois temps principaux :
Si ces trois étapes sont franchies, le traité peut entrer en vigueur. A partir de la signature, cela peut prendre quelques mois.
Mais ça, c’est pour la version simple… Car en réalité, le projet d’accord entre l’UE et le Mercosur contient certaines dispositions qui le font entrer dans une catégorie assez spéciale de traités internationaux qu’on appelle les « accords mixtes », qui empiètent sur les compétences des Etats européens. En raison de cette particularité, la procédure de ratification peut être alourdie : le vote des Vingt-Sept se déroulerait alors à l’unanimité (donnant un droit de veto à la France) et il faudrait ajouter un vote de l’ensemble des Parlements nationaux et régionaux de l’UE (une trentaine). Ce qui prendrait probablement plusieurs années.
En réalité, il est possible qu’on aboutisse à une situation intermédiaire : le pilier principal de l’accord (qui contient les dispositions commerciales les plus importantes sur les droits de douane) serait ratifié avec la méthode simple, tandis que les dispositions supplémentaires passeraient par la voie longue. Cette option est actuellement envisagée par la Commission européenne pour maximiser les chances de voir l’accord accepté en dépit de l’opposition française.
En Europe, qui est pour et qui est contre ?
Plusieurs pays, comme l’Allemagne, l’Espagne et le Portugal poussent la Commission européenne à finaliser l’accord, dans l’espoir de relancer la croissance européenne en augmentant leurs exportations vers le Mercosur. Berlin y voit par exemple de nouveaux débouchés pour ses constructeurs automobiles, les droits de douane étant jusqu’alors particulièrement élevés sur les voitures particulières (35 %).
Dans l’autre camp, la France, qui dit rejeter le projet « en l’état », reste globalement isolée. Le gouvernement Barnier met en garde contre « l’impact désastreux que [l’accord] aurait sur des filières entières, notamment de l’agriculture et de l’élevage ». La Pologne, l’Autriche, les Pays-Bas et l’Irlande ont exprimé par le passé leurs inquiétudes vis-à-vis de l’accord, tout comme l’Italie, par la voix de son ministre de l’agriculture, très récemment. Leur opposition n’est toutefois pas certaine, et leur poids ne serait de toute façon pas suffisant pour le bloquer au Conseil européen. La France devra donc convaincre d’autres pays si elle veut réunir une minorité de blocage.
En France, qui est pour et qui est contre l’accord ?
Aujourd’hui, la quasi-totalité de la classe politique française est opposée au projet de traité UE-Mercosur, de la gauche radicale à l’extrême droite. S’il avait initialement défendu l’accord, Emmanuel Macron lui-même s’y oppose désormais.
Cet unanimisme tient d’abord à la nature spécifique de ce traité, dont les désavantages annoncés (la concurrence pour l’agriculture française) sont perçus comme bien supérieurs aux bénéfices prévus (de nouveaux marchés pour nos industries et nos services).
Mais plus largement, l’avis de la classe politique a énormément évolué ces dernières années sur ces sujets. Le retour des thèmes de la souveraineté et du protectionnisme, conjugué à une attention plus forte aux effets néfastes du libre-échange sur les délocalisations et les inégalités, ont fait voler en éclats le quasi-consensus qui existait sur ce type de traités à droite, chez les centristes et les socialistes.
Dans les cercles économiques, les voix s’exprimant en faveur de l’accord sont rares ou discrètes. Le président du Medef, Patrick Martin, favorable au projet, disait timidement en février qu’il fallait se « laisser du temps ». Les viticulteurs, qui pourraient sortir gagnants de cet accord, n’ont eux aussi pas fait entendre leur voix de façon très sonore.
Que peut changer le vote de l’Assemblée nationale annoncé par Michel Barnier ?
A l’initiative du premier ministre, Michel Barnier, un débat suivi d’un vote sur le traité de libre-échange va se tenir à l’Assemblée nationale le 26 novembre. Ce vote, organisé en vertu de l’article 50-1 de la Constitution, sera avant tout symbolique, puisque la finalisation de l’accord n’est actuellement pas entre les mains du Parlement français, mais des institutions européennes (comme indiqué plus haut).
Mais ce vote pourrait permettre à Paris de maintenir son bras de fer avec la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, en montrant l’ampleur de l’opposition au traité en France. Plus de 600 parlementaires d’horizons politiques divers ont déjà affiché leur opposition dans une tribune au Monde, estimant que le texte ne respecte pas « les critères démocratiques, économiques, environnementaux et sociaux fixés par l’Assemblée nationale et le Sénat ».
La France pourrait-elle refuser d’appliquer ce traité ?
Emmanuel Macron a répété le 17 novembre qu’il ne « signerait pas en l’état » le traité de libre-échange, mais il n’a pas le pouvoir à lui seul de stopper son adoption par l’Union européenne (UE). Actuellement, la Commission européenne dispose d’un mandat de négociation de la part des 27 Etats membres de l’UE, dont la France, pour finaliser l’accord avec le Mercosur. Ce mandat a été accordé en 1999, sous la présidence de Jacques Chirac, et n’a pas été remis en question depuis.
Une fois les dernières négociations bouclées, cet accord pourrait arriver devant le Conseil, qui regroupe les Etats membres de l’UE, et être adopté par un vote à la majorité qualifiée (au moins quinze pays, représentant 65 % de la population européenne). Il y aurait ensuite un vote du Parlement européen. Si celui-ci est favorable, le traité s’imposerait à l’ensemble des pays membres de l’UE, que la France le veuille ou non. Le marché unique européen impose en effet une politique douanière commune aux Vingt-Sept, qui n’ont pas la possibilité légale, ni matérielle, d’imposer leurs propres droits de douane.

Romain Geoffroy et Maxime Vaudano
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